Endettement et emprunts toxiques

N.B.: L'édition de cette page a été interrompu le 18 mars 2014, juste avant le premier (et unique) tour de l'élection municipale à Sassenage. J'ai repris l'édition de ce texte pour apporter des nouvelles informations au mois de décembre 2014. Les paragraphes ajoutés depuis cette date sont indiqués avec la barre verticale à gauche, comme dans celui-ci.

Les emprunts toxiques, ce n'est pas une fatalité

Nous entendons souvent dire ces temps-ci que quasiment toutes les communes en France ont contracté des emprunts toxiques, comme si cela était une fatalité, voire même une banalité.

Rappelons quelques chiffres : en France, 10 690 acteurs publics locaux ont contracté des emprunts toxiques auprès des établissements financiers (Dexia, Groupe BPCE, Crédit Agricole, Société Générale, …). La France compte 36 700 communes, 101 départements, 27 régions, 17 368 groupements de collectivités locales, 2 710 établissements de santé, et 770 organismes d'HLM : presque 60 000 acteurs publics locaux, sans compter les associations. À peu près 5 sur 6 acteurs publics n'ont pas trouvé bonne l'idée de s'intoxiquer financièrement.

La gestion des emprunts avant et après 2001

Jérôme Merle, 1er adjoint chargé des finances à la mairie de Sassenage, ainsi que le maire lui même, attribuent les problèmes financiers actuels de Sassenage à la mauvaise gestion d'Alain Chaplais, maire, entre 1995 et début 2001, en particulier à cause des réaménagements des prêts. Voici ce que Jérôme Merle a dit à ce sujet au conseil municipal du 20 février 2014 :

(Extrait du conseil municipal du 20 février 2014, à 1h28min19sec du début de l'enregistrement.
Vous pouvez écouter l'intégralité de l'enregistrement ici .)

Il y a un certain nombre de contre-vérités dans le discours de Jérôme Merle. Tout d'abord, aucun emprunt n'a été contracté auprès du Crédit Local de France (ancienne dénomination de Dexia) pendant la gestion d'Alain Chaplais. Voici le tableau de l'état de la dette de Sassenage en 2007 :


(passez la souris pour zoomer)

Ce tableau, extrait du compte administratif 2007, montre tous les emprunts faisant partie de l'encours de la dette en 2007. Certains emprunts ont été contractés en 1994, avant le mandat d'Alain Chaplais. Le montant initial et le montant restant de chaque emprunt sont indiqués en euros. La durée restante du prêt est indiquée en années. La colonne « objet » indique si l'emprunt a servi à des investissement où s'il s'agissait d'un réaménagement. Enfin, les établissements prêteurs sont indiqués par leurs sigles : CA pour le Crédit Agricole, SG pour la Société Général, CDC pour la Caisse des Dépôts et Consignations, BNP pour la Banque Nationale de Paris et CFL pour le Crédit Local de France (actuellement Dexia).

Nous pouvons voir dans le tableau que tous les emprunts Dexia ont été contractés pendant les deux mandats de Christian Coigné, le premier datant de 2002. En plus, six parmi les sept emprunts contractés auprès de Dexia entre 2002 et 2006 ont fait l'objet des réaménagements successifs. La série se termine avec deux emprunts toxiques d'un capital total de 9,5 millions d'euros, résultat d'un réaménagement fait en 2007. À l'époque, les élus de l'opposition n'ont pas manqué d'exprimer leur désaccord avec les nouvelles renégociations de ces emprunts en 2009 et 2010.

Sassenage va mal en 2001. C'est la faute à qui ?

Christian Coigné insiste sur le fait que la situation financière délicate de Sassenage aujourd'hui n'est pas de sa faute. Dans un billet intitulé « Alerte rumeur : voici la vérité sur DEXIA » du blog de sa liste, ainsi que dans un tract distribué le week-end du 8 mars, on présente un courrier du trésorier principal avec l'analyse de l'exercice 2001 de la mairie. Malheureusement, le blog de Christian Coigné ne fournit pas une version lisible, mais seulement une image réduite de ce document… En revanche, des extraits de la lettre sont reproduits, dont celui-ci :

« Il s’avère que la situation financière de votre commune est inquiétante et alarmante, ce que vous savez déjà par les résultats de l’analyse rétrospective demandée à un consultant privé en 2001. »

Or, l'exercice 2001 est de la responsabilité de Christian Coigné, vu que les élections municipales se sont déroulées les 11 et 18 mars 2001.

Les comptes de la commune pendant les mandats de C. Coigné

Pour comprendre ce que s'est véritablement passé au début du premier mandat de Christian Coigné, nous pouvons regarder l'évolution des comptes de la commune depuis 2000. Le graphique ci-dessous montre l'évolution des produits (en vert) et charges (en rouge) de fonctionnement. (Données recueillies dans la base Alize 2, disponible en ligne sur le site web du Ministère de l'Économie et des Finances.)


(passez la souris pour zoomer)

Les produits de fonctionnement comprennent, en grande partie, les impôts locaux, tandis que les charges de fonctionnement comprennent en grande partie les dépenses liées au personnel municipal. L'aire jaune entre les courbes rouge et verte du graphique représente l'excédent de fonctionnement. C'est cet excédent qui permet à une commune de s'autofinancer. On observe que la situation en 2000, dernière année du mandat d'Alain Chaplais, n'était pas mauvaise du tout. En revanche, en 2001 (rectangle noir dans la figure ci-dessus), l'excédent de fonctionnement a beaucoup diminué. En effet, Christian Coigné a augmenté les frais de fonctionnement de façon importante. Est-ce à cela que le trésorier principal faisait référence dans son courrier de 2002 ? Enfin, à qui est dû ce problème dans les finances détecté par le trésorier principal en 2002 ?

La mise en alerte en 2006

Quelques années plus tard, le Trésorier Principal a adressé un courrier à Monsieur le Maire de Sassenage le 11 avril 2006 ayant comme objet l'analyse financière 2005 (M/Réf : MR/06.24). Ce document peut être consulté dans son intégralité ici. Déjà à la première page, on peut lire :

« Principaux constats — La situation financière de la commune de Sassenage est à l'évidence délicate dès lors que ses résultats enregistrés de 2002 à 2005 justifient son inscription dans le réseau d'alerte sur les finances locales. »

Pour ce qui est de l'encours de la dette de Sassenage, on observe une augmentation curieuse entre dans la période concernée par le rapport du Trésorier Principal, montrée dans le graphique ci-dessous ((données recueillies également dans la base Alize 2) :


(passez la souris pour zoomer)

La dette de Sassenage a grimpé de 11 millions à 16 millions d'euros entre 2003 et 2005.

Les réaménagements tristement célèbres de 2007

C'est à ce moment, en 2007, que les emprunts ont été réaménagées auprès de Dexia. En effet, avec le taux bonifié des premières années et malgré l'hypothèque de la commune jusqu'en 2042 (six mandats), Jérôme Merle pense qu'il s'agissait d'une bonne opération financière :

(Extrait du conseil municipal du 20 février 2014, à 1h28min05sec du début de l'enregistrement.
Vous pouvez écouter l'intégralité de l'enregistrement ici .)

Malheureusement, ces emprunts ont été contractés sur des bases toxiques, l'un d'entre eux étant indexé sur le franc suisse et l'autre sur la livre sterling. Voici les détails des prêts, tels qu'ils apparaissent dans la décision du maire N° 828 du 12 mars 2007 :

Le lot 2 a été réaménagé en 2009, pour une durée de 32 ans et basé sur le CMS EUR 30 ans (le constant maturity swap européen sur 30 ans, une sorte d'obligation d'état). Le lot 1 a été réaménagé en 2010, sur des bases quasiment identiques au prêt de départ, selon la décision du Maire n° 112 du 14 septembre 2010 :

Le lot 1 est fortement toxique aujourd'hui, avec plus de 12% de taux d'intérêt annuel.

La mise en garde des groupes d'opposition en 2007

Ce réaménagements sont survenus sans que les groupes d'opposition soient au courant. En effet, les négociations avec Dexia n'ont pas été discuté en commission finances et le maire a pris les décisions, lourdes de conséquence pour le futur de la commune, en se concertant uniquement avec son adjoint Jérôme Merle (cf. la Décision du Maire N° 828, daté du 12 mars 2007).

Les représentants des trois groupes d'opposition de l'époque, Yves Bernard, Alain Charvier et Michel Barrionuevo, ont mis en garde le mairie sur les dangers de ces réaménagements des prêts, lors du Conseil municipal du 20 mars 2007. Avec un sens d'humour déplacé, Jérôme Merle a répondu ainsi : « Ne le prenez pas mal , Monsieur Charvier, mais entre les conseils de Dexia, de la Trésorerie et les vôtres, le bon choix est vite fait. » Vous pouvez écouter l'intégralité des débats de ce Conseil municipal ci-dessous :

(Extrait du conseil municipal du 29 mars 2007.)

Un détail intéressant à remarquer : la renégociation des emprunts avec Dexia en début de l'année 2007 incluait une recul de la première échéance en décembre 2008. Les deux premières années, donc, la ville n’a pas payé les annuités qui ont donc été reportées sur le capital restant, ce qui a renchéri d’autant le montant du prêt (capital restant dû) au bout des deux premières années. En plus, cela a permis a Christian Coigné de passer sereinement le cap des élections municipales de 2008…

Dexia est-elle notre médecin de famille ?

Comme écrit Patrick Saurin dans son livre « Les prêts toxiques, une affaire d'État : Comment les banques financent les collectivités locales » (Éditions Demopolis, 2013), en page 81 :

« On ne peut qu'être étonné de la crédulité des élus face aux bonimenteurs de Dexia et des autres établissements financiers. »

Pourtant, Jérôme Merle et Christian Coigné assimilent Dexia à leurs médecins de famille :

(Extrait du conseil municipal du 20 février 2014, à 1h24min21sec du début de l'enregistrement.
Vous pouvez écouter l'intégralité de l'enregistrement ici .)

La mécanique perverse des emprunts toxiques

Bien évidemment, Dexia n'est pas une institution de charité. Bien au contraire, comme n'importe quelle autre institution bancaire ou financière, le but de Dexia est de faire du profit. Une manière de le faire a été la vente de produits toxiques aux collectivités locales.

L'emprunt contracté par la commune de Sassenage qui est actuellement toxique est basé sur le taux de change entre l'euro et le franc suisse. La formule de calcul du taux d'intérêt est donnée de manière explicite dans le contrat (article 7.2.2, page 4). Cette formule, montrée dans la figure ci-dessus, s'applique entre 2009 et 2032 (période « grise »). Entre 2007 et 2009 et entre 2032 et 2042, le taux reste fixe à 3,3% (période « rose »).


(passez la souris pour zoomer)

En période « grise », tant que le taux de change de l'euro ne descend pas en dessous de la barre fatidique de 1,4 francs suisse, tout va bien et nous ne payons que 3,3% de taux d'intérêt annuel. Les agents commerciaux de Dexia ont dû présenter aux responsables de la mairie de Sassenage l'évolution de taux EUR/CHF des sept années précédentes, illustré dans la figure ci-dessus. En effet, on dirait que le taux EUR/CHF ne risque pas de passer la barre de 1,4 dans un futur proche.

Cependant, en 2007, les spécialistes en finances de Dexia savaient très bien que le taux de change pourrait descendre au dessous de 1,4 dans un futur proche, comme le montre la figure ci-dessous. On y voit l'historique du taux de change eUR/CHF entre 1960 et 2014. Malgré la relative stabilité dans les années 2000, ce taux descend de manière systématique depuis 1980. La projection basée sur une période de vingt ans avant 2007 (rectangle gris sur la figure) est montrée par la ligne rouge :


(passez la souris pour zoomer)

Dexia a dû se réjouir avec la crise des subprimes de 2008, qui a entraîné une crise financière globale et qui a fait plonger l'euro par rapport au franc suisse assez rapidement et assez profondément.

Quelle stratégie adopter face aux prêts toxiques de Dexia ?

La municipalité actuelle a choisit la confrontation judiciaire. Voici les dires de Christian Coigné :

(Extrait du conseil municipal du 20 février 2014, à 1h56min40sec du début de l'enregistrement.
Vous pouvez écouter l'intégralité de l'enregistrement ici .)

Encore une fois, on nous accuse de choses que nous avons pas fait. Nous n'avons jamais dit que nous paierons inconditionnellement les emprunts contractés. Pour reprendre la proposition de notre programme :

« Présenter en toute transparence aux Sassenageois le dossier des emprunts toxiques et les différentes solutions pour en sortir. »

La négociation est possible, en effet, et a permis à la ville de Seyssins, par exemple, de sortir de l'impasse (article du Dauphiné Libéré du 9 juin 2012)… :


(passez la souris pour zoomer)

… contrairement à ce que dit Jérôme Merle :

(Extrait du conseil municipal du 20 février 2014, à 1h30min39sec du début de l'enregistrement.
Vous pouvez écouter l'intégralité de l'enregistrement ici .)

Les victimes de Dexia

La ligne de défense de la municipalité actuelle est de se présenter comme victime d'une escroquerie. Voici ce que Jérôme Merle, 1er adjoint chargé des finances, a dit au conseil municipal :

(Extrait du conseil municipal du 20 février 2014, à 1h25min18sec du début de l'enregistrement.
Vous pouvez écouter l'intégralité de l'enregistrement ici .)